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Basse-Pointe racontée par ses habitants

  • pocabassepointe
  • 28 sept. 2024
  • 11 min de lecture

22 septembre 2024 - Journées européennes du Patrimoine


Deux visites ont été proposées afin de révéler le patrimoine commun, vivant et populaire de Basse-Pointe et de mettre en avant les savoirs de ses habitants. Depuis 2003, l’Unesco reconnait le patrimoine culturel immatériel (les savoir-faire artisanaux, l’oralité, les connaissances en lien avec la nature, les pratiques...) et c’est ce patrimoine qui a été mis à l’honneur lors de cette journée.

Nous avons construit ces deux itinéraires, à partir de ce que les Pointois nous ont raconté et révélé au cours de la permanence architecturale. Ils passent par des lieux très différents, qui permettent de raconter l’histoire de Basse-Pointe hier et aujourd’hui. La parole était ouverte à tous, ce qui a permis de créer des échanges entre les habitants, et entre habitants et experts.


Nous étions accompagnées par Didier Yokessa et Thibaud Duval du CAUE, Ghyslain Norca et Samuel Leopoldie de la mairie, et Melvin Beatrix du Parc Naturel Régional. Une quarantaine de participants étaient présents, de tous les âges, Pointois ou venus d’autres communes pour découvrir Basse-Pointe.



Premier itinéraire - le Fond Hackaert


Le quartier Fond Hackaert


Le quartier s’est construit entre 1950 et 1970. Au début, il n’y avait qu’une seule rangée de maisons, à distance de la falaise, avec beaucoup de végétation. Les maisons ont été construites en koudmen, par des familles d’ouvriers agricoles travaillant majoritairement à la plantation Hackaert. Les enfants ont participé à la construction du quartier, en remontant du sable et des pierres de la rivière. Le quartier est très dense.

Le lotissement de la rue du Vaniller a été construit plus tard, entre 1970 et 1980. Cela se voit au niveau morphologique, avec des maisons moins proches les unes des autres.




Rivière du Fond Hackaert


Depuis 7 ans, José Norca entretient et aménage les abords de la rivière. Il est très attaché à ce lieu et nous le fait visiter.

Quand il était enfant, avec ses frères, ses sœurs et ses voisins, ils passaient beaucoup de temps à la rivière : pêche, repas... c’était un lieu très important pour eux.

Il réalise les aménagements avec des matériaux récupérés ou biosourcés : des faïences récupérées dans des maisons abandonnées, des invendus de certains magasins de BTP, du bambou qui pousse à proximité. Il a déjà réalisé des escaliers en mosaïques, un bassin, des plantations... Il organise souvent des koudmen et aimerait que cela attire plus de monde.

Il constate que des espèces envahissantes colonisent les rives de la rivière. C’est le cas du Scindapsus doré, une espèce exotique envahissante originaire de Polynésie française, importé comme plante décorative mais qui est présente dans de nombreux milieux naturels. C’est surtout au bord des falaises qu’on constate que cette espèce est très envahissante.




Avec Valentine Sagaliapidine, ils nous offrent des jus de fruit et Emile Donivard, poète de Basse-Pointe, déclame "parole de l’eau douce” : un poème qui raconte l’époque où, avant 1973 et la contamination au chlordécone, tout le monde vivait au bord de la rivière et buvait l’eau de source.



Deuxième itinéraire - De Gradis au port


L’habitation Gradis et l’ancienne usine centrale de Basse-Pointe



Nous commençons ce second parcours au niveau de l’ancienne usine centrale de Basse-Pointe : on y traitait la canne des habitations alentour : Eyma, Leritz, Hackaert. Une ligne de chemin de fer reliait ces habitations et permettait le transport de la canne. L’usine a fermé en 1964.

L’habitation se trouve entre la rivière de Basse-Pointe et la ravine Corbière. Sur les pentes douces qui descendent de la montagne Pelée, elle domine les environs, avec une vue sur la mer. Lieu d’esclavage et de colonisation, L’habitation domine et contrôle son environnement (allée de cocotiers, en surplomb de l’ancienne usine, contrôle de l’accès aux terres agricoles, vues sur la mer et la montagne, exploitation du sol...). La géographie naturelle est mise au service de l’usine. Un canal puise l’eau dans la rivière de Basse-Pointe quelques kilomètres plus haut, pour le traitement de la canne, l’alimentation d’un moulin hydraulique et de la dynamo. Les bâtiments industriels ont été démantelés après la fermeture de l’usine mais les infrastructures qui permettaient son fonctionnement sont encore présentes dans le site : le canal, les remblais des voies de chemin de fer. La cheminée de l’usine était un repère important jusqu'à ce qu'elle soit démantelée : elle guidait les bateaux depuis la mer. Certains pointois ont appris à nager au port, en s‘éloignant suffisamment des côtes pour apercevoir cette cheminée.

La maison de maître, devenue le centre culturel Tangamen (CTM), grâce à son implantation en longueur au-dessus de la rivière, profite d’une ventilation naturelle importante. Caractéristique de l’architecture coloniale, elle a été reconstruite en 1895 suite au passage d’un cyclone, en matériaux locaux : le sous-bassement est en pierre, l’étage est en bois.



En marge du contrôle et de la violence imposés dans cette habitation coloniale, d’autres histoires se sont déroulées. Certaines pratiques culturelles se sont développées, et sont ancrées encore aujourd'hui dans les traditions. C’est le cas du culte hindou et des jardins créoles. Dans ces lieux, le rapport à l’environnement et les choix d’implantation sont très différents de ceux de l’habitation.



Le temple hindou


En Martinique, on trouve sept temples hindous, dont trois à Basse-Pointe. En effet, il y a une grande communauté de descendants d’indiens dans la commune.

Les premiers indiens arrivent en Martinique à Saint-Pierre le 6 mai 1953. Il s’en suit 30 ans d’immigration indienne. Les premiers sont envoyés dans une habitation du Macouba pour tester leur résistance. Comme ils maîtrisent la culture de la canne et résistent aux conditions de vie et aux maladies, l’immigration se poursuit, et notamment à Basse-Pointe où se trouvent de nombreuses habitations.

Les familles apportent leurs divinités lors de l’immigration en bateau, puis elles sont resculptées à Basse-Pointe mais restent dans les maisons. De nombreux enfants meurent, et le béké s’en inquiètent. On demande au maître “kité nou fé an service ba la déesse Mariamman”. Cela fonctionne, et le béké finit par accepter qu’un temple soit installé dans un ancien dépôt de l’habitation, où les divinités sont installées. En Martinique, on ne laisse pas la possibilité d’avoir une architecture hindou, contrairement à la Réunion. Le temple est situé face à la mer, à côté d’une rivière, pour pouvoir appeler les énergies nécessaires au culte des divinités.

Aujourd’hui, les cérémonies sont organisées par un croyant, pour remercier des grâces reçues après qu’il en a fait la demande. Les cérémonies réunissent une cinquantaine de personnes dans l'enceinte du temple, et une centaine à l’extérieur. Pour entrer dans l’enceinte, il faut avoir fait un jeûne végétal d’au moins 3-4 jours, voire plus selon le type de cérémonie. Le jeûne végétarien représente un sacrifice de soi, il permet de s’éloigner de la mort et d’invoquer la partie de la vie des divinités.

Lors de leur migration, les Indiens ont aussi apporté de nombreuses plantes : le fruit à pain, le moringa, le curcuma... Autour du temple, on trouve des arbres et des arbustes symboliques comme le vépélé neem.

Il y a aussi la vénération d’un saint musulman, dont on retrouve les symboles sur un arbre à côté : main de fatma, croissant, étoile. Il a permis aux ancêtres d’arriver sains et saufs lors de la traversée de l’Atlantique.



L’agriculture intensive et les jardins créoles


Depuis le remblai des anciens chemins de fer de l’habitation qui relient l’habitation à Hackaert, nous nous trouvons entre les grandes plaines d’agriculture intensive et des jardins créoles implantés en contrebas.

Les terres, qui dépendent d’un grand exploitant agricole produisent de la banane et un petit peu de canne. Des jachères de chanvre permettent de régénérer les sols. On voit dans les plantations des haies de Galba et de Gliciridia, plantées historiquement pour faciliter le passage des animaux. Bien que cette seconde ne soit pas une espèce endémique, la floraison entre janvier et février permet notamment aux pollinisateurs de se nourrir à une période où il y a peu de fleurs.

Au-dessus des champs on observe la forêt primaire, qui s’étendait jusqu’à la mer avec la colonisation et le défrichement des terres pour l’agriculture. Aujourd’hui on s’est habitué à ce paysage, mais ce n’est pas le paysage naturel de l'île.

En contrebas du remblais, des jardins se sont implantés dans les interstices non cultivables en monoculture. Ils offrent une biodiversité beaucoup plus riche et permettent une forme d'autosuffisance alimentaire. Le rapport au paysage est à l’environnement est très contrasté entre l’habitation et les maisons autour. Le jardin, source de production alimentaire, médicinal et aromatique est entremêlé à l’habitat.




Emile Donivard nous raconte ensuite l’histoire des seize de Basse-Pointe.



Eglise


La construction initiale de l’église remonte à 1663, au moment de la fondation de la paroisse avec le début de la colonisation. C’est aussi à cette époque que se développe le quartier du Fond du Bourg, habité par des artisans et des commerçants. L'église a été reconstruite à de multiples reprises. En 1902, une nouvelle église est construite face à la mer. En 1933, grâce à un investissement collectif elle est à nouveau reconstruite face à la rue. Les enfants du catéchisme transportaient le sable depuis le port. L’église était alimentée par la dynamo de l’usine de Gradis.

En 2007, le cyclone Dean endommage la toiture. Pendant 17 ans, la paroisse est dépourvue de lieu de culte. La quête est menée dans chaque maison de la commune, et même dans les communes voisines.

Le maitre Autel est classé en 1982 à l’inventaire des monuments historiques.

Différents artisans de la commune et des villes alentours ont été sollicités pour travailler sur le projet de la nouvelle église. Deux ébénistes et deux menuisiers se sont associés pour réaliser le mobilier en bois de l’église pendant un an. Ils ont travaillé ensemble sur un gabarit commun pour qu’ils puissent réaliser des bancs identiques. Les artisans n’ont pas signé leurs bancs mais sont capables de les reconnaître dans des détails d’assemblage, de découpe... Les bancs ont été réalisés en muria cataria, un bois dur importé du Brésil.




Pwent Sonn – le port


Le port se trouve sur une rare avancée de terre sur la mer sur cette côte atlantique plutôt caractérisée par des falaises, d’où le nom de la commune, Basse-Pointe.

Le nom Pwent Sonn viendrait de l’ingénieur qui a réalisé le port. D’autres disent que cela vient de la position géographique du port qui servait de “point de son” sur la côte.

Le port a longtemps servi à l’exportation du rhum et de la canne à sucre depuis les habitations. Des tonneaux étaient chargés sur deux bateaux, le Matouba et l’Esperanto, soit à l’aide de petites embarcations soit à la nage.

C’est aussi un lieu de pêche important. Depuis les années 1970, le surf s’y est développé. Le bord de mer était le lieu des enfants du bourg, un lieu d’émancipation. Ils y apprenaient à nager et à surfer. Les plus vieux apprenaient au plus jeunes à nager en les emmenant au large, jusqu’à ce qu’ils voient la cheminée Gradis et toutes les terres. Ils surfaient sur des chambres à air ou des petites planches en bois. L'un d’entre eux était touche-à-tout et a commencé à fabriquer des planches de surf avec les planches des tables d’école dans les années 1975-80, il rajoutait les ailerons. Puis on leur a donné quelques vraies planches. Il y a ensuite eu le Surfing Club de Basse-Pointe. A l’époque en Martinique, il n’y avait du surf qu’à Tartane et Basse-Pointe. Il y avait des compétitions entre les deux.

Il fallait aller prendre la vague au niveau du cimetière, puis elle emmenait jusqu’au pied d’Hackaert. Les vagues ont changé avec l’enrochement du bourg. Le port de Grand’Rivière a modifié l’ensablement de la plage, avant il se faisait fin avril, début mai, au début des grandes marées.

Tout le monde se douchait à “la grande douche” en sortant de l’eau. Et aujourd’hui de nombreuses personnes le font encore et y sont très attachées. Pourtant l’ARS a testé la qualité de l’eau, qui est fortement contaminée au chlordécone. Son usage n’est pas recommandé.

Une colonie de pélican est revenue s'installer à Pwent Sonn, alors que pendant longtemps ils avaient disparu. C’est le signe d’une amélioration écologique. Récemment, on a revu un nid à Grand’Rivière.


Un poème d'Emile Donivard au bord de mer

Le quartier du Fond du Bourg



C’est l’un des quartiers les plus anciens de Basse-Pointe, fondé au XVIIe siècle en même temps que la paroisse. Aujourd’hui encore, c’est le centre dynamique de la commune. On y trouve des commerces de proximité, ouverts tous les jours et achalandés en produits locaux.

Le quartier s’est densifié dans la deuxième moitié du XXe siècle avec de nombreuses maisons construites en koudmen. Le quartier a beaucoup évolué. Avant les maisons étaient légères avec des toitures de paille, les rues étaient en terre et il y avait un lien et une confiance de voisinage, toutes les portes restaient ouvertes. Aujourd’hui, il y a une barrière entre l’intérieur et l’extérieur. Les familles qui vivaient là étaient des familles très nombreuses : 8, 9 jusqu’à 12 enfants. Ils étaient souvent laissés sous la surveillance des voisins quand les parents travaillaient, il y avait une grande solidarité. Avant, il n’y avait pas d’étage dans les maisons, les familles les ont rajoutés pour leurs enfants. Beaucoup de maisons ont été modifiées. Le sable venait souvent du bord de mer : les enfants allaient le chercher du côté de la rivière, il n'était pas lavé, ce qui explique qu’aujourd’hui il y a des problèmes structurels dans de nombreuses maisons. Ici, les maisons sont tournées vers la montagne, et non vers l’océan, afin de se protéger de l’air salin.

C’est un quartier qui est soumis à l’océan et à la rivière. Il a été inondé quand l’ancien pont en pierre a été bouché et quand la rivière de Basse-Pointe a débordé. Il a aussi été très exposé aux cyclones, et un enrochement a été construit après le passage du cyclone David en 1979, afin de protéger de l’océan. Au début des années 2000, de nombreux habitants ont quitté leurs maisons avec une opération RHI (résorption de l’habitat insalubre). Le quartier est beaucoup moins dense aujourd’hui, avec de nombreuses dents creuses.





CONCLUSION


Ces deux itinéraires avaient pour objectif de mettre en avant des sujets et des problématiques très variés, à travers le patrimoine vivant et la mémoire collective. Ils ont révélé l’intérêt des participants pour le patrimoine naturel, culturel et social. Des questions sur l’agriculture et sur l’alimentaire ont été soulevées, et notamment sur les méthodes de diversification. La volonté de fonctionner ensemble a fortement émergé dans les récits des pointois, et les aménagements qui le permettrait : la fracture avec le passé, la fermeture des commerces, la disposition des maisons.


La permanence architecturale est une méthode pour réfléchir à l’aménagement à partir du terrain. Face aux enjeux contemporains (érosion, changement climatique, crises énergétiques) il faut des réponses locales, et contextualisées. C’est pourquoi il est important de prendre en compte ce patrimoine dans l’aménagement futur, afin de ne pas reproduire les modèles d’aménagement hors-sol qui ont été mis en œuvre pendant des décennies. Dans les aménagements futurs de la commune, il sera essentiel d’intégrer le rapport au sol, au paysage, au climat, au voisinage, à la mémoire et à la symbolique des lieux.


Ces deux visites étaient la dernière action de la permanence de l’atelier de réflexion SURF. Nous souhaitons vivement que toutes les remarques et les récits qui ont été faits au cours de la journée puissent être intégrés aux réflexions sur le futur de la commune.



REMERCIEMENTS


Nous remercions la mairie de Basse-Pointe, les différents services et les services techniques, pour leur accueil et leur aide tout au long de la permanence. Particulièrement pour l’organisation de cette journée, nous remercions Ghyslain Norca pour l’animation musicale, Samuel Leopoldie et la Caisse des Ecoles pour la préparation des repas, madame Joseph et tout le service technique ainsi que le service informatique pour l’aide matérielle.

Nous remercions Didier Yokessa, Thibaud Duval, Marie-Line Chaton et Barbara Caudalise du CAUE pour leur aide et leur accompagnement. Merci à Gisèle Mondésir de la DEAL et à David Briot de la DAC, ainsi qu’à la préfecture, pour leur soutien et leur financement.

Nous tenons à remercier particulièrement les personnes présentes au cours de cette journée : Melvin Béatrix du PNRm qui nous a accompagnés, et tous les participants.

Enfin, merci à tous les habitants de Basse-Pointe qui nous ont accueillies, qui nous ont fait confiance, et qui ont accepté de répondre à nos questions. Merci à ceux qui ont partagé leurs souvenirs et leurs connaissances : José, Toto, Emile, monsieur Persico, la famille Hoppeley, Mickey... Et merci à ceux qui n'étaient pas présents mais qui ont acceptés d’être photographiés.

 
 
 

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Cette démarche est soutenue, accompagnée et financée par la mairie de Basse-Pointe, la DEAL, le CAUE, la DAC, la préfecture de Martinique, la Preuve par 7, la MIQCP et l'Ecole d'architecture de la ville et des territoires Paris-Est.

poca.basse.pointe@gmail.com

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Espace du marché, rue Marce Bedouin,

Basse-Pointe 97218, Martinique

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