Plantes, jardins et agriculture à Basse-Pointe : quel rôle dans l’habitabilité future du territoire ?
- pocabassepointe
- 4 juil. 2024
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Dernière mise à jour : 24 juil. 2024
La permanence architecturale à Basse-Pointe s’interroge sur la manière d’habiter la commune face aux nombreux enjeux qu’elle rencontre. L’urgence imminente du recul du trait de côte interroge le devenir des quartiers sur les falaises. A cela s’ajoute le changement climatique qui va accentuer les risques naturels et rendre plus extrêmes les saisons sèches et humides en entraînant des sécheresses, des inondations, le bouleversement des cultures et de la biodiversité etc. La commune de Basse-Pointe connaît aussi une forte diminution, un vieillissement et un appauvrissement de sa population. D’un côté, de nombreux logements sont vacants dans le centre-bourg. De l’autre, les logements construits actuellement ne correspondent pas aux attentes et aux modes de vie des habitants.
Pour se saisir de ces questions complexes et imbriquées, nous avons choisi de développer trois axes de travail. Le premier s’intéresse aux plantes, aux jardins et à l’agriculture. Voici les premières étapes du travail sur ces questions.
Pour comprendre l’implantation des cultures à Basse-Pointe, il faut d’abord regarder comment celles-ci se sont développées dans le temps. Avec la colonisation et l’esclavage, une agriculture intensive s’est implantée sur les pentes douces et fertiles de la montagne Pelée. Les colons arrivant avaient 36 mois pour faire défricher le plus de terres possibles par leurs esclaves et en faire leur propriété. Ils y produisirent d’abord du cacao et du tabac, puis de la canne à sucre.
Aujourd’hui, ce sont les mêmes familles qui possèdent toujours ces terres et qui y produisent majoritairement de la banane ou de la canne à sucre, ensuite transformée en rhum, et exportées vers l’Hexagone. Cette monoculture intensive de la banane est responsable de la contamination au chlordécone des sols. A Basse-Pointe, on produit aussi des ananas qui sont revendus localement.

En visitant une ancienne habitation sucrière désaffectée de Basse-Pointe, on observe les restes de l’histoire coloniale. La maison de maître domine l’habitation. Devant, une esplanade plantée de manguiers offre des vues à la fois sur la mer et sur la montagne. En contrebas, la rue Case-Nègre logeait les familles des esclaves puis des travailleurs agricoles jusqu’à sa transformation en hôtel dans les années 1970. Un canal prélève l’eau d’une rivière en amont et traverse toute la propriété. Il faisait fonctionner une roue à aube pour la production du rhum. Plus loin un gigantesque ficus fait reposer ses branches sur des racines qui descendent des branches à la recherche d’eau.
Mais alors, comment se nourrit-on à Basse-Pointe aujourd’hui ? Et pour commencer, quelle est la place des jardins dans cette commune rurale ? Et quelles formes prennent-il ?
Accompagnées d’habitants nous avons visité des petits jardins du centre-ville nichés entre les bâtiments et d’autres, plus grands autour des maisons dans les mornes, un jardin créole à la campagne, une exploitation biologique d’une vingtaine d’hectares, une ancienne habitation sucrière…
Certains habitants plantent autour de chez eux des plantes ornementales, médicinales ou des arbres fruitiers. D’autres cultivent des jardins créoles sur des terrains à quelques kilomètres de leur logement et produisent fruits et légumes qu’ils consomment, donnent à leur entourage et dont ils vendent le surplus aux petits commerces du bourg. Dans les hauteurs, certaines parcelles n’appartiennent pas aux grands propriétaires terriens et sont cultivées en maraîchage. La production de dachine ou de piment végétarien est expédiée vers Fort-de-France.
Pour en savoir plus sur les plantes cultivées dans ces jardins, nous avons proposé aux habitants de nous déposer des boutures des plantes utiles à leurs yeux en nous expliquant pourquoi. Nous avons ainsi récolté une trentaine d’essences : du gros thym et du basilic pour la grippe et les rhumes et de l’atoumo qui soigne tous les maux ; de la papaye, des oignons pays, du citron, de l’ananas et du pois d’angole ; du roucou pour colorer la peau et la cuisine ; du qui-vivra-verra qui exauce les vœux, de l’olivier qui apporte la paix, des zoreilles-moutons pour chasser les mauvais esprits etc. Les essences récoltées révèlent la variété de services que peuvent rendre les plantes qui nous entourent et leur importance dans la culture locale.
A partir de ces boutures, nous avons proposé un « devine-plante » à la fête de l’école des hauteurs Bourdon. Les enfants et leurs parents ont joué à identifier les plantes et retrouver leurs usages.
Pour compléter ces visites, nous avons rencontré le Conservatoire Botanique de Martinique (CBMq) qui lutte contre les espèces envahissantes, une des trois premières causes de la diminution de la biodiversité. De plus en plus d’espèces exotiques sont introduites sur l’île et certaines menacent les espèces indigènes ou modifient les milieux. La majorité de celles-ci est importée pour l’aménagement, comme le vétiver qui pourrait potentiellement devenir envahissant, alors que des alternatives indigènes existent. Toutefois, certaines espèces exotiques ont un rôle culturel ou nourricier important. Il ne faut donc pas se débarrasser de toutes les essences exotiques mais plutôt s’interroger sur la pertinence de leur plantation, surtout à proximité des milieux sensibles.
Les questions que cela soulève…

Nous avons constaté que les jardins offrent une forme de résilience alimentaire, voire médicinale et qu’ils jouent un rôle important dans les logements et les modes de vie. Quelle sera leur place dans l’habitabilité future du territoire ? Et quel lien entre le jardin et l’habitat ? Où et comment cultivera-t-on à Basse-Pointe demain ? Quelles sont les différentes formes et échelles des lieux de culture ? L’auto-suffisance alimentaire est-elle possible ? Comment valoriser et préserver les traditions et les savoirs locaux ? Quelles essences choisir, et particulièrement dans le cadre de l’aménagement urbain ?
Ce sont ces thématiques que nous creuseront dans les semaines à venir, à partir des visites et des rencontres sur le terrain.
Merci à Joseph Appaoo, habitant du bourg, qui a accepté de relire et de corriger cet article !! Egalement merci à Jeanne De Reviers du CBMq de nous avoir reçues et d'avoir répondu à nos questions !
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